Entretien avec Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC).
Alors que les soignants étaient déjà confrontés à une forte dégradation de leurs conditions de travail et réclamaient des moyens pour l’hôpital, la crise sanitaire du coronavirus les place au premier plan.
Face à l’ampleur de la pandémie de Coronavirus, comment s’organisent les infirmiers ?
Thierry Amouroux : Les professionnels infirmiers sont en colère, car ils doivent gérer le manque de masques, de gels hydro-alcooliques, de sur-blouses pour travailler, à l’hôpital comme en extra-hospitalier. L’hôpital était déjà asphyxié par des années de restrictions budgétaires (moins 8,4 milliards sur 10 ans, soit 10 % du budget), avec de nombreuses fermetures de lits, de petits hôpitaux, etc.
C’est simple, en 20 ans, les décideurs ont fermé 100 000 lits (-20 %), 95 services d’urgences et la moitié des maternités. Alors que nous sommes 8 millions d’habitants en plus, avec une population plus âgée, et une forte hausse des maladies chroniques. Depuis plus d’un an, les hospitaliers appellent à l’aide, car nous n’en pouvons plus : burn-out, dépressions, suicides… Là-dessus arrive le coronavirus, et l’on découvre qu’il n’y a pas de masques FFP2 dans les réserves stratégiques ! À l’hôpital, nous devons rationner les masques chirurgicaux et les gels. Les infirmières libérales n’ont reçu que 50 masques, et doivent les garder au-delà du raisonnable « pour faire durer » !
Quels conseils donneriez-vous à la population ?
Aidez-nous à vous soigner : respectez les mesures barrière (lavage régulier des mains, garder un mètre de distance) et surtout restez chez vous ! Ne sortez que pour les courses indispensables. Au-delà de l’interdit, c’est du bon sens. Le virus est très contagieux : nous sommes tous des porteurs potentiels alors ne contaminez pas les autres.Si vous arrivez à avoir un masque, portez-le dès que vous sortez.
Il faut savoir que 75 % des morts du Covid-19 avaient plus de 75 ans. Mais plus de la moitié des hospitalisés en réanimation ont moins de 60 ans, dont des jeunes sportifs. Nul n’est à l’abri, c’est pourquoi il faut se protéger. Surtout ne prenez pas d’anti-inflammatoire en automédication, cela aggrave l’infection. Si vous avez de la fièvre, prenez du paracétamol. À l’inverse, si vous avez un traitement de fond avec des anti-inflammatoires, n’arrêtez pas de vous-même, consultez votre médecin traitant.
Le système hospitalier a-t-il la capacité d’accueillir tous les cas graves ?
En France, nous n’avons que 5 000 lits de réanimation et 7 200 lits de soins intensifs. En temps normal, ils sont déjà beaucoup utilisés. C’est pourquoi la mesure de confinement est indispensable pour étaler la vague de personnes à hospitaliser. Nous ne voulons pas en venir à choisir qui ira en réanimation faute de respirateurs, comme en Italie.
Faire appel aux hôpitaux de campagne de l’armée pour renforcer les régions les plus atteintes permettra une souplesse. Mais clairement, il faut redonner des moyens aux hôpitaux pour rouvrir des lits, créer des postes, et les rendre attractifs par des revalorisations salariales. Aujourd’hui, 30 % des jeunes infirmiers diplômés abandonnent la profession dans les 5 ans qui suivent le diplôme, c’est un gâchis humain et social.
Comment le gouvernement peut-il vous aider ?
Notre syndicat demande à tous les maires de redistribuer les masques et les gels stockés pour les élections municipales. C’est maintenant que nous en avons besoin. Le SNPI demande aux industriels de se réorganiser pour produire en énorme quantité des masques, du gel, des tests, des gants, des sur-blouses, etc. Le gouvernement doit les y obliger. Il n’est pas acceptable que la cinquième puissance mondiale ne soit pas capable de produire en masse ce qui nous manque.
Au-delà des soignants, les masques sont aussi nécessaires à tous ceux qui vont continuer à travailler : les auxiliaires de vie des services de soins à domicile, les caissières des supermarchés, les policiers qui contrôlent le confinement…
Enfin, chaque citoyen doit disposer d’un masque pour se protéger. Il a fallu attendre le départ d’Agnès Buzyn pour que le gouvernement commande des masques fin février et mi-mars pour qu’il réquisitionne la production. La situation de la Chine nous alertait pourtant dès décembre. Nous avons perdu beaucoup de temps.
Propos recueillis par Cecilia Escorza