Président de la CFE-CGC Afpa et délégué national confédéral, André Thomas évoque la situation difficile de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, à un carrefour de son histoire.
Quel est le rôle de l’Afpa, transformée depuis le 1er janvier 2017 en Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) ?
Fondée en 1949, l’Afpa est le premier organisme de formation professionnelle qualifiante des actifs. Membre du service public de l’emploi, l’agence accompagne les demandeurs d’emploi et les salariés à toutes les périodes de leur vie professionnelle (insertion, reconversion, professionnalisation). L’État confie à l’Afpa, placée sous la tutelle conjointe des ministères de l’Emploi et de l’Économie, quatre grandes missions : l’ingénierie des certifications, l’anticipation des métiers et des compétences de demain, l’accompagnement de l’évolution des compétences et l’appui aux opérateurs chargés des activités de conseil en évolution professionnelle.
Après les dernières péripéties du plan de sauvegarde (PSE annulé en Cour d’appel le 16 décembre dernier après que 1 254 salariés aient quitté l’entreprise à la suite de licenciements ou de départs volontaires), l’entreprise compte aujourd’hui 4 800 salariés en CDI et environ 1 200 salariés équivalents temps plein (ETP) en CDD en moyenne constante, selon les variations du marché. Une des grandes particularités de l’Afpa, qui compte 116 centres de formation et 210 sites (restauration, hébergement…) sur le territoire national, est que 85 % des effectifs salariés sont des cadres, dont 100 % des formateurs.
Dans un courrier adressé en février dernier à la directrice du Budget, Amélie Verdier, vous appelez Bercy à prendre ses responsabilités vis-à-vis d’une entreprise en plein doute quant à son avenir. Qu’attendez-vous précisément ?
Toutes ces dernières années, le rôle de l’Afpa a été remis en cause. Il s’agit donc d’en repositionner clairement les missions et le sens. L’entreprise est en effet victime d’une véritable dissémination stratégique, étant amenée à s’occuper de jeunes mineurs, de migrants, de Neet (« ni étudiant, ni employé, ni stagiaire »), de salariés d’entreprise, d’apprentis et désormais de jeunes de 16 à 17 ans dans le cadre du programme 16/18… En l’état actuel, c’est impossible d’atteindre l’équilibre économique, malgré les subventions annuelles allouées. Les difficultés structurelles et financières de l’Afpa, dans le contexte d’un marché de la formation professionnelle toujours plus libéralisé, ne sont pas liées à l’efficacité de l’entreprise et de ses salariés. Elles relèvent de la capacité du législateur à inscrire l’action de l’Afpa dans un schéma global de la puissance publique dans le domaine de l’insertion, de la formation professionnelle et de l’emploi, avec plus de coordination et de clarté sur les moyens affectés.
Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que Bercy se comporte avec l’Afpa comme un actionnaire majoritaire offshore qui ne se soucie pas du mal-être des salariés et des missions confiées. Pour imager, Bercy se comporte avec l’Afpa comme si on demandait à un équilibriste de faire des claquettes sur un fil. Avec l’appui de la Confédération CFE-CGC, nous demandons donc au ministère de l’Économie d’accorder plus de moyens RH à l’Afpa pour mener à bien ses missions, ainsi que la mise en place d’une mission d’étude dans le domaine de l’insertion, de l’emploi et de la formation professionnelle. Il faut créer l’Afpa de demain, en respectant le dialogue social.
Quelles sont les réponses de l’État et de la direction de l’Afpa ?
Nos demandes répétées aux représentants des ministères du Travail et du Budget, ainsi qu’au conseil d’administration de l’Afpa, restent jusqu’ici lettres mortes. Le ministère du Travail est absent des débats, ce qui laisse toute latitude à Bercy pour mener une politique exclusivement budgétaire. La seule réponse que nous obtenons à nos demandes est que nous devons avoir un excédent brut d’exploitation (EBE) positif. Cette perspective empêche l’Afpa de se projeter vers l’avenir. Je rappelle par ailleurs que quatre ans après la transformation de l’Afpa en Epic, l’agence n’a toujours pas signé le contrat d’objectifs et de performance (COP) prévu entre l’Afpa et ses tutelles. Nous espérons que la signature interviendra cette année.
Comment se positionne l’Afpa par rapport à d’autres Epic ?
L’Afpa est aujourd’hui le plus jeune Epic de France. Il est urgent de lui donner une vision à long terme partagée par les deux ministères qui en assurent la tutelle. L’État doit prendre ses responsabilités alors que la trajectoire proposée est encore très floue. Lorsque l’on observe les autres Epic – citons l’ONF, l’Opéra de Paris ou l’Ifremer – on constate que tous savent tous ce qu’ils doivent faire à un horizon de trois à cinq ans. Ce n’est pas le cas pour l’Afpa et c’est déplorable.
La CFE-CGC propose également un changement de nom pour l’Afpa. Pourquoi ?
Le nom et l’objet social de l’Afpa ne correspondent plus du tout à la réalité de ce que nous faisons. On s’éparpille, on disperse nos forces. Nous proposons donc en effet de rebaptiser l’Afpa en France Inclusions, un nom qui reflèterait bien davantage la réalité d’aujourd’hui puisque la formation ne représentera plus que 55 % de notre chiffre d’affaires dans deux ans. Tout le reste, c’est de l’inclusion, de l’ingénierie, des certifications, etc.
Comment la situation est-elle vécue par les salariés de l’Afpa ?
Sans surprise, le corps social réagit mal à toute cette maltraitance. Les premiers constats de l’Observatoire du stress et des douleurs sociales de l’Afpa (OSDSA), mis en place en novembre 2020 par des salariés de l’entreprise avec le soutien de la CFE-CGC, sont édifiants : l’Afpa se situe dans les 5 % d’entreprises françaises de plus de 5 000 salariés ayant le plus fort taux d’absentéisme (9,11 %). Il y a eu des tentatives de suicide. Le milieu de travail en devient incapacitant. Dans certaines régions, les DRH se suivent et se succèdent. Les cadres et le personnel d’encadrement sont fortement sous pression. Les risques psychosociaux sont au plus haut chez les salariés. Ces derniers sont pourtant très investis, attachés à leur entreprise et à leurs missions de service public, mais ils sont victimes d’une absence totale de visibilité sur le projet d’entreprise et les orientations stratégiques. Sans parler du fait que des dérives à travailler constamment le soir ou le week-end existent et que les augmentations et les primes sont gelées depuis 2010.
Quelle est la dynamique de la CFE-CGC, devenue le premier syndicat dans l’entreprise ?
La CFE-CGC, qui avait perdu sa représentativité en 2009, l’a retrouvée en 2019 lors des dernières élections professionnelles en devenant la première organisation syndicale de l’Afpa avec 29,57 % des voix. C’est le fruit d’un syndicalisme évolutionnaire : une revendication = une proposition. On travaille beaucoup notre positionnement stratégique en s’appuyant sur la marque CFE-CGC. Depuis 2015, la section est en progression constante. Par exemple, tous les mardis, nous menons l’opération « le mardi, c’est terrain ». On s’appuie beaucoup sur des spots vidéo courts pour tous nos messages.
Cette dynamique syndicale se traduit également au niveau du dialogue social : en bonne partie sous l’impulsion de la CFE-CGC, il n’y jamais eu autant de négociations menées au sein de l’entreprise que depuis 2019. Nous avons en particulier enregistré la signature d’un accord majoritaire relatif au séquencement et à l’organisation des négociations au sein de l’UES Afpa. Cet accord prévoit l’ensemble des thématiques (NAO, intéressement pour la première fois à l’Afpa, égalité professionnelle, télétravail, partage de la valeur, qualité de vie au travail, droit à la déconnexion, lutte contre les discriminations…) à négocier ces trois prochaines années.
D’autres exemples ?
En décembre 2020, après le vrai-faux PSE, nous avons réussi à obtenir une prime de 400 euros pour l’ensemble des salariés. Seule la CFE-CGC l’a demandée, négociée et signée. À défaut de pouvoir avoir une augmentation, on militait pour une reconnaissance rétributive pour la première fois en 10 ans et nous l’avons obtenue. Maintenant, après avoir signé un accord sur le télétravail correctement indemnisé, nous nous attaquons cette année à la mise en place de l’intéressement ainsi qu’à une augmentation générale.
Notre aventure syndicale tient compte de notre environnement. Nous essayons de réfléchir avec discernement puis d’agir avec sollicitude, pour rester fidèle à notre ligne d’autonomie et d’indépendance. Comme nos militants inspirent confiance, cela fait une force homogène capable d’apporter bien-être et bonheur tout en protégeant l’intérêt de nos adhérents et des salariés de l’Afpa.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet