La CFE-CGC a salué, en décembre 2020, le rapport parlementaire « Pour un partage de la valeur. Agir à la source », qui reprenait plusieurs de ses propositions. État des lieux d’un sujet complexe et porteur d’enjeux de justice sociale.
DE QUOI PARLE-T-ON ?
Ce qu’on appelle la valeur, ou la valeur ajoutée, est la richesse créée par l’entreprise. Il s’agit de la différence entre la production de l’entreprise (dont le poste principal est le chiffre d’affaires) et les consommations utilisées pour réaliser celle-ci. La valeur se répartit entre différents postes : rémunérations pour les dirigeants et les salariés, dividendes et rachats d’actions pour les actionnaires, intérêts pour les banques, impôts pour l’État, investissements de l’entreprise. Depuis la loi Rebsamen du 17 août 2015, le partage de la valeur ajoutée est intégré au premier bloc de négociation (« Rémunération, temps de travail et partage de la valeur ajoutée »). Il doit être mis en perspective avec les salaires effectifs, l’intéressement et la participation.
ÉVOLUTION AU PROFIT DES ACTIONNAIRES
D’après les données de la Banque de France, qui analyse les bilans et comptes de résultats des sociétés, seule la part revenant aux actionnaires a progressé depuis plus de 20 ans : elle a presque triplé sur la période ! En revanche, celles revenant à la rémunération du travail et à l’État (via les impôts et taxes) ont baissé. Les salaires n’ont donc pas suivi l’augmentation des profits, et une part importante de la valeur ajoutée a progressivement été captée par les dividendes. À cela deux raisons principales : d’une part, les réformes du marché du travail ont affaibli le pouvoir de négociation des salariés. De l’autre, la « financiarisation » des entreprises les a conduites à se détourner de leurs intérêts à long terme et à sacrifier leurs investissements pour répondre aux intérêts de court terme des actionnaires.
ACCROISSEMENT DES INÉGALITES SALARIALES
Au sein même de la part rémunérant le travail, les inégalités se creusent en défaveur des salariés et en faveur des dirigeants. Certes, des outils de contrôle de la rémunération des dirigeants ont été mis en place. En 2016, la loi Sapin II a introduit dans le Code de commerce le « say on pay », un mécanisme qui donne un droit de regard aux actionnaires sur la rémunération des dirigeants de sociétés cotées. La loi Pacte de 2019 a quant à elle instauré l’obligation de publier un nouvel indicateur, le ratio d’équité. Grande nouveauté des assemblées générales de 2020, les actionnaires ont été invités à voter sur un rapport concernant l’application de la politique de rémunération incluant pour la première fois ce ratio d’équité.
LES LIMITES DU RATIO D’ÉQUITÉ
Cet indicateur est composé en réalité de deux ratios : l’un compare la rémunération de chaque dirigeant avec la rémunération moyenne des salariés, l’autre la compare avec la médiane. Problème : le périmètre retenu pour ce calcul n’a pas encore été clarifié. Légalement, il s’agit du périmètre social, ce qui n’est pas toujours significatif. La société de conseil Proxinvest, qui pratique ses propres calculs sur la base des effectifs à l’échelle internationale, a démontré que selon le périmètre retenu, les résultats peuvent être très éloignés. Le cabinet a par exemple calculé un ratio de 321 pour Carrefour, alors que celui communiqué par la société est de 42. Les résultats montrent qu’en moyenne, les entreprises du SBF 120 atteignent un ratio de 73, ce qui signifie que les dirigeants du SBF 120 gagnent en moyenne 73 fois plus que le salaire moyen perçu dans l’entreprise qu’ils dirigent.
LES POSITIONS DE LA CFE-CGC
Pour la CFE-CGC, la valeur ajoutée créée par les entreprises est due en grande partie au travail et à l’investissement des salariés, ce qui justifie une répartition juste et équitable. Celle-ci doit être objectivée dans le calcul d’un index du partage de la valeur ajoutée afin d’éclairer le débat au sein de l’entreprise. Ces dernières années, l’évolution accentuée de la rémunération des dirigeants a montré qu’elle n’était pas forcément gage de meilleure performance économique. C’est pourquoi la CFE-CGC souhaite que leur rémunération soit transparente et évolue en lien avec celle des salariés, sur la base de critères semblables. Elle milite pour que les dispositifs récompensant la performance des dirigeants (stock-options et bonus) évoluent de concert avec ceux des salariés (intéressement et participation), pour restreindre l’attribution des stock-options et privilégier la distribution d’actions gratuites aux salariés.
POUR UNE MEILLEURE REPRÉSENTATIVITÉ DES SALARIÉS
Les notions de performance économique, sociale et environnementale sont liées et contribuent à la performance globale de l’entreprise. Cela impose la prise en compte de critères de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans la part variable des dirigeants. La rémunération de ceux-ci doit être décidée dans le cadre d’une gouvernance responsable et durable, facteur de performance sociale, soucieuse des intérêts de long terme de l’entreprise, en privilégiant les investissements et en réduisant les dividendes. Afin de réunir ces conditions, la CFE-CGC est notamment favorable à un élargissement au tiers de la présence des représentants des salariés au sein des conseils d’administration et de surveillance. Les salariés sont en effet une partie constituante de l’entreprise et la plus intéressée à la pérennité et à la bonne marche de celle-ci.
LES RÉMUNÉRATIONS PATRONALES NE CONNAISSENT PAS LA CRISE…
Dans une étude récente, le cabinet Proxinvest a analysé l’évolution conjointe de la rémunération moyenne des salariés et des dirigeants du CAC 40 sur la période 2014-2019. Celle-ci met en lumière le rythme effréné avec lequel évoluent les rémunérations des dirigeants. À titre d’exemple, en 2014, leurs rémunérations ont augmenté de 18 %, contre 7 % pour les salariés. Cette dynamique particulièrement défavorable pour les salariés ne fait que creuser les inégalités préexistantes.
La crise sanitaire a quelque peu ralenti la tendance puisqu’en 2020, les rémunérations des dirigeants du CAC 40 ont connu une baisse de 21 %. L’effort aura toutefois été de courte durée, comme l’indiquent les estimations du magazine spécialisé dans les pratiques de gouvernance, l’Hebdo des AG, prévoyant une forte hausse des rémunérations des dirigeants votées lors des dernières assemblées générales des actionnaires. Les PDG et autres directeurs généraux pourraient ainsi se voir attribuer 5,3 millions d’euros en moyenne en 2021 (part fixe, variable et bonus compris), soit un niveau excédant celui d’avant crise (4,8 millions d’euros pour 2019).
Côté dividendes, les actionnaires devraient également trouver leur compte, avec une estimation à près de 50 milliards d’euros pouvant être distribués en 2021 en France (soit 10 milliards de plus qu’en 2020), en lien notamment avec la levée des restrictions mises en place par la Banque centrale européenne (BCE) en 2020.
En revanche, pour les salariés, les prévisions de budgets d’augmentation des entreprises constatées par les cabinets de recrutements (Mercer, Deloitte…) sont particulièrement basses cette année, avec une estimation inférieure à 2 %. De quoi continuer d’alimenter le débat sur le partage des richesses !
Anaïs Filsoofi